suite à « Prothèses » par JF Le Scour

En tant qu’initiateur d' »à côté », je suis le premier « regardeur », le premier « photographe » et le premier « qui en parle ». Je crois que si les passants voyaient plus souvent des gestes, des objets non catalogués, ils s’étonneraient moins de ce qui se passe « à côté »… Le « qu’est-ce que c’est ? » est la question des passants. Ils pourraient se demander « pourquoi je m’étonne ? ». Pourquoi veulent-ils savoir ce que c’est, avant d’avoir pris le temps de regarder !! Prendre le temps ?
L’observation de ce qui se passe… ou pas « à côté » est nécessaire. Comme le moment de la soupe doit être un moment de discussion, après avoir regarder… On fait, on regarde, on discute. A tout moment, l’autre a sa place. Il peut s’arrêter pour regarder, intervenir, parler. Il est aussi convié à passer le seuil, symbolisé par le portique Thebois pour « garder le sourire ». A l’intérieur, j’accueille faisant la soupe à la « cuisinière sur roulettes », avec l’artiste qui présente son travail à la palissade et (ou) aux étagères… Tout est là, pour que celui qui prend le temps d’écouter, d’observer, se retrouve à pouvoir discuter… ou pas, c’est selon !

Comme le « faire laisser faire » est là. Ce qui font et reviennent sont aussi dans l’observation de ce qui est fait… ou pas. Je crois que tout est là. Regarder, écouter comment une proposition est reçu. Quand « bonjour, est-ce que je peux vous dire bonjour » dérape parce que celui qui est interpellé, se sent attaquer. La discussion qui suit est très intéressante pour savoir ce que sont les limites à transgresser… ou pas !

Comment celui qui fait, qui propose avec son corps, arrive à rencontrer l’autre. L’habitude veut que la mise en scène de l’art détermine la place de chacun… Au musée, au théâtre, le fronton conditionne celui qui passe dessous ! « à côté », le faire est amené à l’autre avec le corps, la voix… une « représent-action ». Sans ce mouvement, la rencontre serait plus difficile… La question est de savoir pourquoi celui qui fait à besoin de montrer ? Pourquoi le regard de l’autre est nécessaire… Ne suis-je pas le premier autre à être « provoqué-séduit » par ce qui est fait « à côté » !!!


ah, l’époque ?*
__jf le scour, 2016
*je sais, je sais, je revendique

Prothèses par Mario Horenstein

On ne peut en aucun cas dire « oser le Jossetisme » come on dit « oser le féminisme ». La sculpture sociale de l’utopie Jossetiste (SSUJ) n’est pas une amical des créateurs tolérants sensés par leurs indulgence encourager d’autres pour qu’ils « osent » s’exprimer en public (jf est capable de déclencher un conflit rien qu’en disant bonjour). Et oser quoi au juste ?
Passer du « quotidien » vers « à côté du quotidien » (ou extra-quotidien pour d’autres qui l’apparentent au sacré en tant que passage du profane vers un domaine séparé) nécessite autre chose que des paroles bienveillantes ou de « laisser faire ». Ce qu’il faut c’est des prothèses (artefact pour combler une partie du corps qui manque). Et c’est logique qu’il soit comme ça puisque le corps est au centre de la SSUJ et qu’il ne peut pas être à côté de lui-même par ses propres moyens.
Il n’a jamais de représentation dans la SSUJ mais de représent-action ; pas de photos, tableaux, ou dispositifs accrochés comme dans une galerie mais à chaque fois le corps qui les a fait est présent et en action ; Il ne s’agit pas de Luchini en train de lire Céline, chaque poète ne lit que sa production ; il n’y a pas à découvrir le mur au moment du vernissage puisque les artistes travaillent aux yeux de tous et les performances-altercations-revendications de jf se font dans la rue et en toute transparence.
C’est les attributs du sacré (rituels, mythes et interdits) qu’il convient d’utiliser pour une typologie des prothèses de la SSUJ (cette liste n’est pas exhaustive ni figé mais dynamique et cumulative).
Les rituels configurent l’espace et le temps avec des cycles macroscopiques : tous les samedis de l’année de 15h à 19h on convoque un espace dedans-dehors qui commence par la sortie des « compagnons » et par l’entrée de quiconque ose franchir le portique de sécurité et se termine par la soupe populaire (en tant que sécularisation de l’hostie). Le renouvèlement mensuel des objets au mur, la palissade et les étagères font partie de ce cycle.
Les cycles microscopiques sont l’apanage des individualités qui performent et déterminent une chorégraphie social complexe composées des objets en bois qui bougent pour organiser l’espace de la rue, les mouvements de photographes, l’installation des poètes, les interpellations des passants et leurs rites de passage avec des rituels narratifs, les performances de ceux qui exposent pendent le mois à la palissade et aux étagères, la préparation de la soupe et de la vidéo, la canalisation des enfants qui dessinent dans le bitume et les mouvements des passants- participants. Ces derniers sont très importants pour le développement des mythes de la SSUJ.
Des exemples de rituels peuvent être observés dans la vidéo ci-jointe. Juste après le passage du camion poubelle vers 17h, la performance commence et finie par une marche contemplative assurant la transition entre « quotidienneté » et « acote.be » suivi d’un warm-up (ou préparation du matériel en d’autres occasions) puis une déambulation suivant une géométrie spatial préétablie au cours de laquelle des fragments du corps vont prendre la commande et agir en fonction du contexte. Dans le cas présent il s’agit du larynx qui va fonctionner comme organe de phonation produisant de vocalisations que par résonance vont faire bouger d’autres parties du corps, mais aussi comme organe de perception des bruits urbains qui vont influencer les mouvements du larynx et donc les mouvements d’autres fragments du corps. L’organisation de la simultanéité aboutie à une sensation ambigüe où on ne sait plus qui fait bouger quoi.
Les mythes de la SSUJ se construisent à partir des réactions des passants-participants et elles se transmettent oralement et par la tenue des fiches des phrases marquantes exposés dans l’espace intérieur. Au même temps que la narration des imprévus dans les actions urbaines, ils ponctuent à des temps stratégiques le discours des performeurs. La face virtuelle d’acote.be est la deuxième voie d’élaboration des mythes. Entre réaction et réaction à la réaction et ainsi de suite, associée à l’éclatement des sites dédiés à divers performeurs se dessine une chorégraphie virtuelle qui rend présent les absents et qui ouvre la sculpture sociale quand acote.be est fermé.
Les interdits fixent les bornes à ce qu’on peut introduire ou pas dans tel ou tel partie de l’espace (pas d’alcool, drogue, tabac ou tout autre moyen artificiel pour court-circuiter la quotidienneté ; pas de représentation comme au théâtre, le seul texte emprunté accepté et celui des mythes ; pas de spectacle que figerai des gens dans une position de spectateur et non pas de participant ; pas de fête en tant que réjouissance publique pour oublier la quotidienneté ; pas d’objet artistique en soit, dans la SSUJ, l’objet artistique est celui qui performe, tout le reste ce sont des prothèses. La transgression des interdits déclenche une performance-altercation-revendication qui peut prendre une forme verbale, non verbale, ou par effacement numérique.
Au vue de la complexité qui ne demande qu’à s’accroitre, il est légitime de se demander si on ne pouvait pas faire plus simple. S’il s’agit d’aboutir à l’extra-quotidienneté, certains arrivent dans l’espace d’un tapis de yoga et rien qu’avec la méditation. L’expérience esthétique étant de la métacognition (on ne regarde pas mais on se regarde en train de regarder), dans les cas de méditation on regarde ses pensées et ses sentiments, dans la SSUJ c’est des tranches de vie avec toute sa complexité qui sont concernés. La question fréquente des passant-participant : « mais qu’est ce que c’est tout ça ? » cache une autre « qu’est que je fais là ? La SSUJ est un formidable feedback de ma position dans le monde sans laquelle aucune révolution des consciences n’est possible.
La SSUJ n’est pas un lieu où on vient « s’exprimer », si on veut bénéficier des « 15 minutes de gloire » ce n’est pas l’endroit pour y parvenir (l’opéra Bastille ou la nuit debout place de la République peuvent faire l’affaire). Contrairement à l’affirmation de Duchamp « c’est le regardeur qui fait l’œuvre » dans la SSUJ il y a ouvre même si parfois personne regarde (certes, si il y a performeur c’est qu’il se regarde en train de performer). La SSUJ est un lieu où on vient « témoigner » d’une tranche de la condition humaine liée à la vulnérabilité, à la volatilité, à l’éphémère, à l’ambigüité de tout processus de création.

 

Ce texte a été écrit par Mario Horenstein, le 12 octobre 2016 sur son fb
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